Chanter la révolution syrienne

Le 8 septembre 2011

Une des stars de la chanson populaire syrienne s'apprête à sortir, à grands renforts de publicité, un clip de soutien aux manifestants. Certains doutent de sa sincérité...

Dans quelques jours, la chanteuse syrienne Asalah devrait sortir son nouveau clip, Ah si seulement cette chaise parlait… Sous ce titre en apparence innocent, une des plus grandes figures de la chanson populaire prend clairement position en faveur de ceux qu’elle nomme les « révolutionnaires syriens ».

Aujourd’hui installée au Caire,la chanteuse domine la scène artistique depuis le début des années 1990. Fille d’un chanteur célèbre tragiquement disparu dans un accident de voiture, son histoire familiale, lorsqu’elle a dû s’occuper de ses jeunes frères et sœurs, puis sa vie sentimentale, avec notamment son remariage après sa rupture avec un premier mari scandaleusement trop volage, ont accompagné une très brillante carrière internationale, en particulier dans les pays du Golfe.

Alors que le régime syrien s’efforce de mobiliser autour de lui les « voix » chères au public local, la défection de Queen Asalah, surnom que reprend son site, est une mauvaise nouvelle de plus pour la communication du pouvoir . Elle vient en effet d’une chanteuse étroitement associée jusqu’alors au discours officiel. Que Dieu te garde, Assad !, chanson lancée à la gloire du père de l’actuel président, est un tube que les partisans du fils ont gardé l’habitude de diffuser avec force décibels lors de leurs manifestations de soutien au régime.

Coïncidant avec la fin de ramadan, la sortie imminente du clip a été présentée par la chanteuse comme « un vœu de fête à l’intention des révolutionnaires ». Et cette fois, il ne s’agit pas des rebelles libyens, comme lors de précédentes déclarations il y a quelques semaines en présence de blessés soignés dans les hôpitaux du Caire, mais bien de ses propres concitoyens auxquels font allusion les paroles de la fameuse chanson encore inédite (texte arabe ici) : les héros du peuple y font entendre leur colère, après avoir longtemps gardé le silence malgré l’injustice, alors qu’ils disent maintenant qu’il ne servira à rien de s’entêter à vouloir rester… Trouve-toi quelqu’un qui accepte l’oppression, toi qui as oublié la dignité depuis longtemps !

Aucun nom n’est donné mais l’allusion est tout de même assez claire ! Surtout venant de la part d’une chanteuse qui a déjà signifié dans une lettre ouverte qui avait fait grand bruit au milieu du mois de mai dernier qu’elle n’avait nullement l’intention, à la différence de nombre d’autres célébrités de son pays, de se prêter aux simulacres de manifestation (tamthiliyyât) de soutien au régime du président Al-Assad.

Engagement politique ou opportunisme?

Alors que certains surnomment déjà Asalah « la chanteuse de la révolution », d’autres ont plus de mémoire et ne sont pas prêts à accepter un revirement dont ils doutent de l’authenticité (asâla en arabe, comme le prénom de la chanteuse). Ils n’ont pas oublié les paroles de quelques-unes de ses chansons, pas toujours très anciennes, telle Ton peuple est ton espoir prometteur : Ton peuple est le peuple de la voix unique / La blessure a été profonde , le leader a été choisi, ton Bachar-la-bonne-nouvelle, est le gardien de tes rêves, ô Damas !

Comment interpréter un changement de ton aussi total de la part de la célèbre chanteuse syrienne ? Ses déclarations relèvent-elles du courage politique ou de l’opportunisme ? On notera tout de même que la communication n’est pas vraiment totalement laissée au hasard puisque la sortie prochaine de ce qui sera peut-être un tube révolutionnaire a été préparée sur internet par une mini-vidéo disponible sur YouTube (d’où a été tirée l’image en haut de cette page) et par la diffusion, sur différents sites, des paroles de la chanson pour l’heure encore inédite… Tout de même, et plus encore si elle est suivie d’autres, cette défection spectaculaire d’une personnalité aussi importante du monde du spectacle est un avertissement pour le régime. (En Égypte, la brutale conversion de vedettes en tout genres a été, il y a quelques mois, le signe certain de la chute imminente du pouvoir en place : voir ce précédent billet).

Mais surtout, l’observation de la scène publique tunisienne, égyptienne, libyenne (on pense au romancier Ibrahim Al-Koni en particulier) suscite le même constat. La marginalisation des élites intellectuelles « légitimes », écrivains, intellectuels… qui, naguère encore, avaient une réelle influence sur l’opinion, est toujours plus manifeste. Parallèlement, les prises de position de chanteurs et autres vedettes du spectacle n’ont jamais eu autant d’écho.

En Syrie, les déclarations tardives et souvent jugées maladroites d’un Adonis confirment cette tendance. Il n’est pas sûr que la nomination à la tête du Conseil national de transition du sociologue (exerçant en France) Burhan Ghalioun suffise à l’inverser…


Le journal libanais Al Akhbar a consacré un article à Yves Gonzalez-Quijano. Le chercheur expliquait être un étudiant de Barthes : “Son ouvrage, Mythologies, était pionnier dans sa tentative d’expliquer les changements de la société française à travers l’étude de la mode, des voitures, de la musique et la gastronomie. En toute modestie, j’ai essayé de proposer le même type d’explications pour le monde arabe, où les phénomènes populaires peuvent être une fenêtre pour comprendre ce monde, ses changements sociaux et politiques.”

Billet initialement publié sous le titre “Asalah : une authentique révolte ?” sur le blog Culture et Politique Arabes

Illustrations: Capture d’écran Youtube / FlickR CC PaternitéPas de modification samantha celera

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