Dennō coil: l’invention du monde augmenté
Le dessin animé japonais Dennō coil explore le thème de l'hybridation entre espaces physiques et virtuels, à travers le concept de réalité augmentée, de façon particulièrement intéressante.
Quelles interfaces imaginer pour retranscrire l’hybridation déjà bien réelle des espaces physiques et virtuels ? La question aiguise depuis des décennies l’appétit des auteurs de science-fiction. Parmi les solutions récurrentes, les lunettes de réalité augmentée occupent le haut du podium. Dernier exemple en date, le fabuleux dessin animé japonais Dennō coil (2007), dont je souhaite vous parler depuis plus d’un an (mea culpa pour le retard…).
Dans un futur proche [2026, pour être précis], dans la ville japonaise de Daikoku. Le principe de la réalité augmentée fait désormais partie intégrante du quotidien de cette petite ville qui, à part cet ajout de l’informatique directement dans la vie urbaine, ressemble à n’importe quelle ville du Japon contemporain. Sauf pour les enfants, qui n’hésitent pas à utiliser des équipements à la limite de la légalité pour s’amuser avec la couche informatique de leur ville : animaux virtuels, virus, et surtout les « dennou megane », une paire de lunettes leur permettant d’interagir avec cette autre réalité. (via)
Ne vous fiez pas à son caractère volontairement enfantin : bien qu’a priori destinée à un jeune public, la série propose différents niveaux de lecture ainsi qu’une certaine intensité dramatique, notamment dans sa seconde partie (on sent d’ailleurs l’héritage « ghibli-esque » de ses créateurs). Vous n’avez donc aucune raison de passer à côté :-)
Premier enseignement : à la différence de la science-fiction occidentale – qui considère visiblement que les lunettes de réalité augmentée se doivent d’être grossièrement ridicules -, Dennō coil mise sur leur discrétion, voire leur classicisme. Une véritable bouffée d’air frais, tant l’imaginaire des lunettes de RA est saturé de représentations à la limite du pathétique. C’est d’ailleurs, à mon sens, ce qui contribue à rendre les usages de la série si « naturels » (contrairement aux interfaces gestuelles des deux éternels cités – Minority Report ou le projet Sixth Sense [en] -, qui ne m’ont jamais vraiment conquis).
Soyons honnête : la principale vertu de Dennō coil ne tient pas à sa créativité débordante sur le plan des usages de RA imaginés, puisque l’on retrouve les grands standards du genre : faire un carré avec ses doigts pour prendre une photo/scanner un objet, par exemple. Certes intuitif, mais donc logiquement déjà vu (ça reste quand même du très lourd, hein… N’hésitez pas à vous faire un idée en fin d’article.). Mais c’est davantage dans sa représentation de l’hybridation physique/virtuel que la série se distingue. Ainsi, à chaque espace « physique » correspond un espace virtuel accessible via des « brèches » en réalité augmentée.
Cet espace virtuel ne se contente pas d’être un miroir du monde réel. Il s’agit au contraire d’un véritable espace autonome, ayant une géographie interne spécifique bien que « reliée » spatialement au monde physique. La scène du sauvetage de Densuke (le chien virtuel de l’héroïne), dans le premier épisode, est en ce sens une véritable claque. Afin de retrouver le chien, les deux héroïnes « peignent » ainsi une de ces fameuses brèches sur un panneau de tôle permettant à une créature en RA de « plonger » dans l’environnement virtuel, à la recherche de son collègue. Une belle métaphore du « tag urbain », au passage…
C’est à travers ce type de scènes que Dennō coil révèle toute sa créativité : non pas dans les usages de la RA mais plutôt le background général de l’hybridation réel/virtuel, aussi riche que novateur, sur lequel s’appuie la série pour développer son scénario. Ce background prend ainsi ses distances vis-à-vis des visions traditionnelles de la réalité augmentée… pour mon plus grand plaisir. L’univers imaginé répond en effet à la « panne d’imaginaire » que j’évoquais dans le billet « La réalité augmentée, un fantasme de vieux cons ? », où j’avais pour la première fois mentionné l’anime. Rebondissant sur les propos de Raimo van der Klein (« La réalité augmentée exige une autre expérience que le simple copié-collé de contenu d’un médium à l’autre. ») :
Il me semble justement que les applications de réalité augmentée se contentent – pour l’heure ? – d’agréger du contenu géolocalisé, sans que l’environnement puisse être impacté par l’usager. Où est l’interaction ? Où est la fonction médiatrice ? Les applications de réalité augmentée telles qu’elles sont actuellement conçues semblent paradoxalement déconnectées de leur environnement.
Puis, reprenant Kevin Slavin :
L’espace urbain n’est pas augmenté par l’ajout d’information mais par les secrets qui s’y cachent.
C’est exactement ce que propose Dennō coil. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que cette vision enchanteresse de la réalité augmentée soit ici portée par un imaginaire enfantin et véritablement ludique ; on est loin des applications de « chasse au trésor » aussi ennuyeuses que redondantes. En paraphrasant Thomas Jamet (dans un article consacré à Foursquare et Facebook Places, déjà mentionné ici), on pourrait ainsi écrire que les usages imaginés dans Dennō coil participent à « inventer des lieux » [ « au sens où l’on « invente » un trésor, où on le découvre, ces explorateurs urbains « dé-couvrent », « dé-mystifient », « dé-masquent » et révèlent des lieux, parfois cachés, aux yeux de tous. », écrit-il. ]
C’est précisément cette ambition qui devrait selon moi guider les développeurs d’applications en réalité augmentée. En ce sens, Dennō coil est un formidable réservoir de créativité. Pourquoi s’en priver ?
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Ci-dessous le premier épisode, dans lequel vous pourrez admirer les scènes commentées dans ce billet :
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Billet initialement publié sur [pop-up] urbain
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