Un patron de radio ou un Président a-t-il pigé l’évolution des médias ?
Le rachat du Monde et les licenciements des humoristes de France Inter montrent qu'on accorde encore aux médias une grande influence sur la vie politique. Mais il ne faudrait pas oublier qu'Internet a profondément remodelé la scène médiatique.
Guillon, Porte, et sans doute quelques autres qui ne font pas dans la dentelle.
En les virant, les patrons de radios espèrent mettre un couvercle sur leur humour corrosif, heureux de défendre les modestes vertus de leurs redactions. Il y a, dans ces décisions, une dimension que ces patrons et les éventuels politiques impliqués oublient totalement. Ces humoristes n’ont absolument pas besoin de radio, de télé ou de tribune dans les journaux pour répandre leurs éditos.
Une bonne présence en ligne, entre des vidéos sur Dailymotion ou YouTube, un éventuel blog bien foutu et des relais faciles via les réseaux sociaux, et voilà que la diffusion de leurs idées, ô combien subversives selon certains, est assurée.
Certes, ils ne vont pas en vivre. Mais l’esprit sera respecté, et la liberté d’expression garantie.
Il est d’ailleurs amusant de constater qu’aujourd’hui, la vraie liberté d’expression se trouve en ligne et non plus dans les médias. Sont-ils définitivement devenus des institutions sans intérêt ? Fin d’une époque ?
Un paysage médiatique remodelé
On ne dira pas ici que les prochaines élections se joueront sur le web, ce serait largement exagéré. Par contre, on affirme sans trop de difficulté que le paysage médiatique français sera radicalement différent dans 3 ans de ce qu’il était en 2007.
Evidemment, le web apporte son lot de nouveaux usages, mais il est loin d’être l’unique changement en cours. Plusieurs constatations contredisent les stratégies (réelles ou supposées) du gouvernement et de Nicolas Sarkozy.
- Certains annonceurs sont en train d’éclater totalement leurs achats d’espace. Le principe : passer de 100 supports à 10.000 à budget constant. Ces 10.000 supports sont autant de lieux d’informations qu’il devient impossible de contrôler politiquement parlant. Pourtant, ils répondent aux besoins d’exposition des annonceurs.
- TF1 et M6 voient leurs revenus publicitaires s’écrouler : -27% pour TF1, -11% pour M6 (2009). Des chiffres contraires à la supposée machiavélique manoeuvre qui consistait à supprimer la pub sur France Télévisions pour engraisser ses copains.
- Les anti-hadopi, et plus largement ceux qui ont compris que le gouvernement fait fausse route sur internet, se font entendre physiquement dans la rue. De gadget pour adolescents internet est devenu un thème politique, fédérateur. Certes, le mouvement est relativement modeste. Ceci dit ils maîtrisent les réseaux d’informations en ligne, non par leur nombre, mais par leur raisonnement juste.
L’éclosion des partis pirates – qui réalisent des scores tout à fait honorables – sont une preuve “in vivo” de l’émergence d’une façon de vivre inspirée du “digital”.
- Quand des personnes déménagent, l’une de leur première question est “Et ici, niveau débit internet, c’est comment ?”. Certains intègrent la proximité d’un NRA comme l’un des critères de sélection d’un logement.
- Le parlement européen, par opposition à Sarkozy ou par compréhension de l’enjeu, ne se laisse pas totalement entraîner dans un aberrant contrôle du net.
- Free, dont le chiffre d’affaire a augmenté de 44% l’an dernier, est l’une des sociétés les plus puissantes en France, en terme de notoriété et de lobbying. L’innovation “disruptive” – c’est à dire qui casse tout un marché – montre à quel point nous sommes sensibles à ceux qui sont capables de renverser une situation sclérosée.
- Google, première entreprise au monde, réalise la majeure partie de son chiffre d’affaire sans rien vendre.
La presse n’a plus le monopole de l’influence
Un dernier élément vient clore et conclure cette liste. Frédéric Filloux a raison (même si son titre est un peu survendu…) quand il écrit que Sarkozy a acheté la presse. Mais ce que ne soulève pas Frédéric, c’est qu’acheter la presse, ce n’est plus acheter “toute” l’influence. La presse d’informations est confrontée à une montée en puissance de mouvements d’idées bien plus libres et agiles, notamment grâce à leur utilisation du web.
La sensation – parce que cela reste une sensation pour le moment – qui monte doucement est que les média sont devenus des institutions fragilisées. Partant, ceux qui considèrent qu’elles sont les uniques relais d’opinions se trompent sur les lieux de partage de l’information.
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Article initialement publié sur Chouing Media.
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