OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Pourquoi 3 dimensions + 1 temps? http://owni.fr/2011/02/17/pourquoi-3-dimensions-1-temps/ http://owni.fr/2011/02/17/pourquoi-3-dimensions-1-temps/#comments Thu, 17 Feb 2011 08:21:18 +0000 Dr Goulu http://owni.fr/?p=34104 Dans “Why are past, present, and future our only options?“, Dave Goldberg traite de la “question bête” d’un lecteur de son livre qui se demande à quoi ressemblerait l’univers si le temps avait plus d’une dimension, et plus généralement, si la vie serait imaginable dans un univers à N?3 dimensions. Voici quelques idées qu’il y développe, additionnées des miennes sur ce sujet.

La vie dans un espace à 2 dimensions (+1 temps)  a été imaginée dès 1884 dans “Flatland” , une allégorie purement géométrique dont a été tiré un film en 2007 :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un siècle plus tard, A.K. Dewdney a traité de manière beaucoup plus “scientifique” la physique, la chimie et la biologie dans le “Planivers” , répondant au passage à une objection de Dave Goldberg: oui, il est possible de croiser deux fils dans le Planivers, comme indiqué ici, donc de réaliser des ordinateurs en 2D, comme le montre également le ”Jeu de la Vie” qui est une machine “Turing complète

Un univers à N=1 dimension (+1 temps) n’est pas imaginable en physique, mais du point de vue artistique j’aime beaucoup ”la Linea” de mon enfance, un dessin animé minimaliste en “1½ D” avec interventions ponctuelles d’un Créateur tridimensionnel :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

A propos d’un univers à N=4 dimensions spatiales (+1 temps toujours), Dave Goldberg mentionne un fait que je n’avais pas réalisé : l’action des forces n’y diminue pas comme l’inverse du carré de la distance comme dans notre univers, mais comme l’inverse du cube de la distance. Ceci fait notamment qu’aucune planète à 4 dimensions ne peut décrire une orbite stable autour de son soleil hypersphérique. Le problème ne s’arrangeant pas en augmentant les dimensions il faut se rendre à l’évidence : un univers “fertile”, où la complexité peut se développer jusqu’à permettre des formes de vie ne peut avoir que N=3 dimensions, ou à la rigueur 2.

Plus une seule dimension de temps, toujours. Quelle que soit la “nature du temps” on n’y coupe pas : au niveau macroscopique bien décrit par la relativité d’Albert, le temps est décrit par une dimension imaginaire, au sens mathématique des nombres complexes. Évidemment, sans temps un univers serait désespérément statique et sans intérêt.

Mais peut-on imaginer un temps à plus d’une dimension ? Mathématiquement ça ne pose pas trop de problèmes et les caractéristiques de tels univers ont été étudées, notamment par Max Tegmark. Son très intéressant article soulève la difficulté majeure posée par un univers à plusieurs dimensions de temps :

Si un observateur est capable d’utiliser sa conscience de soi et des capacités de traitement de l’information, les lois de la physique doivent être telles qu’il puisse faire au moins certaines prédictions. Plus précisément, au sein du cadre d’une théorie des champs, en mesurant diverses valeurs de champ à proximité, il faut qu’il ait la possibilité de calculer les valeurs de champ à certains points plus éloignés de l’espace-temps (ceux se trouvant le long de la ligne de son monde à venir sont particulièrement utiles) avec une marge d’erreur finie. Si ce type de causalité bien définie était absente, alors non seulement il n’y aurait aucune raison pour que cet observateur ait une conscience de soi, mais il semble très peu probable que des systèmes de traitement de l’information tels que les ordinateurs ou le cerveau puisse exister.

Or justement cette prédictibilité n’apparaît que si les équations de champ suivent des équations différentielles partielles “hyperboliques”. Et Tegmark montre que ceci n’est le cas que dans les univers à une seule dimension de temps ou une seule dimension d’espace. S’il y en a plus, l’univers devient totalement imprévisible. Avec un temps à deux dimensions, il est par exemple impossible de donner un rendez-vous à quelqu’un, car si nous contrôlons nos déplacements dans l’espace et pouvons éventuellement les moduler de façon à nous retrouver à un certain moment t1 selon le “temps1″ à l’endroit convenu, nous n’aurions pas le moyen de gérer simultanément le “temps2″ : l’autre personne suivant une trajectoire dans l’espace-temps différente n’aurait aucun moyen d’arriver au rendez-vous à la fois à la même position spatiale et au au même temps (t1,t2)

Le tableau suivant résume les caractéristiques des univers selon leurs dimensions spatiales et temporelles selon Tegmark :

Notre univers n’est donc pas le résultat d’une expérience menée par des êtres à 4 dimensions, ou de dieux pour lesquels notre temps ne serait qu’une dimension parmi beaucoup d’autres. Nous ne sommes pas manipulés comme “La Linea”, ça soulage…

Le tableau exhibe aussi une jolie symétrie entre entre dimensions spatiales et dimensions temporelles, ce qui laisse espérer un autres univers intéressant, notre “symétrique” à une dimension spatiale et “temps cubique”. Dans cet univers, la physique des particules n’autorise que l’existence de tachyons, des particules très hypothétiques dans notre univers mais liées à la théorie des cordes, laquelle postule l’existence de dimensions ”bouclées” à très petite échelle en plus des dimensions spatiales. Dès qu’on vérifie leur existence expérimentalement j’écris un article là dessus, promis.

>> Article initialement publié sur le blog de Dr Goulu

>> Illustration FlickR CC : Cayusa

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Le retour en grâce d’Alan Turing http://owni.fr/2011/02/04/le-retour-en-grace-dalan-turing/ http://owni.fr/2011/02/04/le-retour-en-grace-dalan-turing/#comments Fri, 04 Feb 2011 13:58:56 +0000 Roud http://owni.fr/?p=34034 Alan Turing, né en 1912 et mort en 1954, est un modèle scientifique pour de nombreuses personnes. Mathématicien spécialiste de cryptographie, il est précurseur si ce n’est l’inventeur d’au moins deux domaines scientifiques très actifs aujourd’hui qui m’intéressent au plus haut point : l’informatique et la biologie intégrative. De plus, nombre de ses travaux avaient des motivations autant philosophiques que scientifiques, ce qui explique peut-être le souffle qui les anime.

Turing l’informaticien

Ses contributions majeures sont dans le domaine de l’informatique. Turing est l’inventeur de l’ordinateur en tant qu’objet d’étude théorique. Il a ainsi littéralement défini le concept d’algorithme (et un concept qui va avec, la calculabilité). Dans le papier fondateur des sciences informatiques, il définit ce qu’on appelle aujourd’hui une machine de Turing. La machine de Turing est un dispositif théorique très simple, basé sur une machine lisant un ruban imprimé et, en fonction de ce qu’elle lit sur le ruban, pouvant avancer, reculer sur le ruban, écrire sur celui-ci ou effacer de l’information. On peut démontrer que tout ordinateur est en fait assimilable à une machine de Turing !

Ce qu’on sait moins, c’est que Turing a inventé sa machine (et donc l’ordinateur) pour répondre à un problème mathématique précis, posé par Hilbert dans sa fameuse liste. En fait, ses travaux font suite à ceux de Godel sur l’indécidabilité en mathématique. Turing pensait que le problème 10 de Hilbert était indécidable ; pour étudier ce genre de problème, son idée était en quelque sorte de “mécaniser”, d’automatiser les mathématiques, ce qui l’a amené à inventer la machine de Turing et la notion d’algorithme. Un des problèmes fameux qu’il a résolu avec sa démarche est le problème de l’arrêt. En terme “geek”, le problème de l’arrêt se formule en termes suivants : est-il possible de construire un algorithme capable de prédire si un programme informatique va imprimer les mots “hello world” ? Turing a posé le problème et montré qu’une telle machine, qu’un tel algorithme n’existait pas, et donc que le problème de l’arrêt est indécidable (la démonstration est assez facile à comprendre, je m’étais même fendu d’un petit billet à ce sujet à une époque lointaine …).

Les autres contributions d’Alan Turing

Turing était en fait fasciné par les machines, l’automatique, et se posait beaucoup de questions philosophiques sur la nature de la conscience et de l’intelligence. L’une de ses contributions majeures au domaine de l’intelligence artificielle est ce qu’on appelle le test de Turing : il s’agit, en gros, d’un test permettant de mesurer l’intelligence d’une machine à l’aune de l’intelligence humaine. Les fameuses CAPTCHA de nos blogs sont une forme de test de Turing. Ce cheminement des maths vers l’algorithmique en passant par la philosophie et l’intelligence artificielle ont amené Turing a s’intéresser à la formation de structures en biologie. Là aussi, il a cherché à savoir comment de la complexité pouvait émerger de processus purement mécaniques : il a ainsi proposé les premiers modèles mathématiques de réaction-diffusion, pour expliquer comment des motifs (de Turing) peuvent se former spontanément en biologie.

La plupart des travaux de Turing sont largement d’actualité dans toutes ces disciplines. La machine de Turing est le prototype théorique de l’ordinateur, l’intelligence artificielle est un domaine de recherche prometteur, et je suis très bien placé pour vous dire qu’on n’a pas fini d’entendre parler de Turing et de ses successeurs dans le domaine de la biologie théorique.

Turing, l’homme

Sur le plan plus personnel, la vie de Turing fut probablement assez triste et se termina très mal. Homosexuel, il perdit son premier amour foudroyé par la maladie (ce qui rendit Turing athée, comme Darwin), puis fut poursuivi et condamné dans un pays où les préférences sexuelles différentes étaient illégales. Du fait de sa condamnation, on lui interdit de poursuivre ses recherches sur la cryptographie. Désespéré, Turing se suicida en 1954 en mangeant une pomme empoisonnée, comme dans Blanche-Neige, son conte de fée préféré. [NB : L'histoire dit que cette pomme croquée inspira le logo de la marque Apple. En 2009, Gordon Brown a présenté les excuses du gouvernement britannique pour sa condamnation abominable.]

Turing fait donc partie de ces chercheurs géniaux et multicartes, ayant laissé leur empreinte et leur nom sur plusieurs domaines scientifiques différents (faisant mentir le zeroième théorème ?). Ses préoccupations scientifiques, ses interrogations philosophiques, l’ont amené à fonder des domaines en pleine expansion aujourd’hui. A ce titre, il aurait mérité le Nobel, mais ne l’aurait probablement jamais eu vu ses intérêts scientifiques plutôt dans le XXIe siècle que dans celui de l’ami Alfred.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

>> Article initialement publié sur “Matières vivantes”

>> Illustration et vidéo Flickr CC : Leo Reynolds et Andrew Magill

>> Extrait du documentaire “The Genius of Alan Turing” en cours de tournage

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