OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 ACTA « menace les intérêts publics » http://owni.fr/2010/06/28/acta-%c2%ab-menace-les-interets-publics-%c2%bb/ http://owni.fr/2010/06/28/acta-%c2%ab-menace-les-interets-publics-%c2%bb/#comments Mon, 28 Jun 2010 14:23:30 +0000 Astrid Girardeau http://owni.fr/?p=20426 Du 16 au 18 juin dernier, plus de quatre-vingt-dix experts internationaux se sont réunis à Washington pour analyser le texte officiel de l’ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). Initié en 2007 par les États-Unis, et négocié avec l’Europe et une dizaine d’autres pays (Australie, Canada, Corée du Sud, Émirats Arabes unis, Japon, Jordanie, Maroc, Mexique, Singapour, Suisse et Nouvelle-Zélande), ce traité vise à établir un «standard commun pour la défense des droits de propriété intellectuelle». Il souhaite renforcer la lutte contre les atteintes au droit d’auteur et la contrefaçon, via notamment un durcissement des fouilles aux frontières, la surveillance d’Internet et l’interdiction générale de contournement des DRM. L’analyse des experts a abouti à la conclusion que l’ACTA « menace les intérêts publics », y compris «toutes les inquiétudes rejetées par les négociateurs eux-mêmes».

Négocié dans l’ombre depuis 2007, le texte [pdf] de travail de l’ACTA est finalement publié le 21 avril 2010 sur le site de la Commission européenne. Cela suite à de fortes pressions et critiques de la part de citoyens, organisations de la sociétés civile, institutions, entreprises et parlementaires quant au manque de transparence du processus des négociations, et de leur contenu. Dès septembre 2008, l’EFF et Public Knowledge portaient plainte contre le gouvernement américain, suivie en janvier 2009 d’une plainte de l’IFFI (Fondation internationale pour une infrastructure informationnelle libre) contre le Conseil de l’Union européenne. Le 10 mars dernier, le Parlement européen adoptait, par 633 voix contre 13, une résolution « sur la transparence et l’état d’avancement des négociations ACTA ». Puis, début avril, lors du round de négociations à Wellington (Nouvelle-Zélande), le groupe PublicACTA lançait une pétition : la Déclaration de Wellington. Cependant, ni publication du texte, ni les réponses des négociateurs, n’ont donné matière à tarir les inquiétudes.

« Au moins sept domaines critiques de la politique publique mondiale » menacés

Des membres de La Quadrature du Net et d'Act Up-Paris près du Luzern Palace où se déroule le 9ème round de négociations. (CC)BySa - La Quadrature du Net - 2009

Alors que le nouveau et neuvième round de négociations d’ACTA démarre ce lundi à Lucerne (Suisse), le PIJIP (Programme de l’Université Américaine sur la Justice de l’Information et la Propriété Intellectuelle) a donc organisé la semaine dernière une réunion à l’École de Droit de l’Université américaine de Washington.

Regroupant près d’une centaine d’experts (universitaires, organisations, etc.) des cinq continents, elle a abouti à une déclaration commune, selon laquelle l’ACTA menace « au moins sept domaines critiques de la politique publique mondiale : droits fondamentaux et libertés, gouvernance d’internet, accès aux médicaments, portée et nature des droits de propriété intellectuelle, commerce international, législation internationale et institutions, processus démocratique ».

En quelques jours, la déclaration a reçu quelque 650 signatures, dont celles de douze parlementaires européens (Sandrine Bélier, Christian Engstrom, Jan Philipp Albrecht, etc.), organisations (EFF, Open Rights Group, Public Knowledge, CIPPIC, La Quadrature du Net, etc.), universitaires (Micheal Geist, Lawrence Lessig, etc.) et citoyens.

La déclaration réfute notamment quatre points défendus par les négociateurs. Ainsi, explique t-elle, « les négociateurs déclarent que l’ACTA :

  • “n’interférera pas avec les droits citoyens fondamentaux et les libertés” ; ce n’est pas vrai.
  • “est compatible avec l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC) de l’OMC” ; il ne l’est pas.
  • “n’augmentera pas les fouilles aux frontières ou n’interférera pas sur le transit de médicaments génériques légitimes” ; ce sera le cas.
  • “n’impliquera pas des ‘réponses mesurées’ concernant la déconnexion d’utilisateurs d’internet” ; pourtant, l’accord recommande fortement de telles politiques. »

« Ce qui a commencé comme une simple proposition de coordonner les mesures douanières a évolué de manière radicale et complexe vers un nouveau règlement international concernant la propriété intellectuelle et Internet, avec de graves conséquences pour l’économie globale et l’aptitude des gouvernements à promouvoir et préserver l’intérêt public, explique Sean Flynn, directeur associé du PIJIP. N’importe quel accord de cette portée et avec de telles conséquences doit reposer sur un processus public large et consultatif, documenté, avec un accès permanent et libre à toutes les propositions de textes négociés. Il doit en outre refléter la gamme complète des préoccupations d’intérêt public. »

Le texte complet de la déclaration :

DROITS FONDAMENTAUX ET LIBERTÉS
ACTA autoriserait et encouragerait l’application de mesures gouvernementales et privées qui :
* Entraveraient la jouissance des droits fondamentaux et des libertés, y compris des droits humains protégés sur un plan national et international comme le droit à la santé, au respect et à la protection de la sphère privée, à la liberté d’expression, à l’éducation, à la participation culturelle, à une justice équitable, y compris le droit à un jugement équitable et à la présomption d’innocence.

INTERNET

ACTA :
* Encouragerait les fournisseurs d’accès à internet à jouer le rôle de policiers vis-à-vis des internautes en rendant ces fournisseurs responsables des agissements de leurs clients, en conditionnant le dispositif dit de « Safe Harbor » ou « Sphère de sécurité » à l’adoption de principes policiers, et en exigeant des parties qu’elles encouragent la coopération entre les fournisseurs d’accès et les détenteurs de droits ;
* Encouragerait la surveillance et de potentielles déconnexions punitives par des acteurs privés, sans supervision par des organes judiciaires ou sans processus judiciaire en bonne et due forme ;
* Généraliserait l’interdiction de contournement des mesures de protection contre la lecture et le copie (« clauses anti-neutralisation » ou ‘anti-circumvention dispositions’) qui menaceraient l’innovation, la concurrence, les logiciels libres, les modèles économiques en accès libre, l’interopérabilité, les exceptions aux droits d’auteur et la liberté de choix des utilisateurs.

ACCÈS AUX MÉDICAMENTS

ACTA mettrait en péril l’accès généralisé à des médicaments abordables, y compris en:
* Autorisant les autorités douanières à saisir des marchandises dans les pays de transit, même si ces marchandises ne violent aucune loi des pays d’exportation ou d’importation;
* Impliquant des fournisseurs de substances pharmaceutiques actives agissant en toute légalité mais dont le matériel a pu être utilisée en aval pour des produits illégaux, sans qu’ils en aient eu connaissance ;
* Limitant les flexibilités clés accordées aux gouvernements par rapport aux injonctions, notamment dans les cas concernant les brevets, et qui sont nécessaires dans le cas de royalties exigées par des cours de justice, pour les prix liés à l’innovation ainsi que pour d’autres politiques visant à dissocier le coût de la recherche et développement du prix des produits ;
* Etendant la portée de l’accord aux brevets dans plusieurs domaines de l’accord, ce qui est une réponse inadaptée à une politique visant à lutter contre les contrefaçons.

PORTÉE ET NATURE DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

ACTA fausserait les équilibres fondamentaux entre les droits et les intérêts des propriétaires et des utilisateurs, y compris en :
* Introduisant des droits hautement spécifiques et des possibilités de recours aux détenteurs de droit sans détailler les exceptions, limitations et garanties procédurales des utilisateurs;
* Transférant la charge de l’application des mesures aux autorités publiques et à des intermédiaires prvés selon un mode vraisemblablement plus propice aux préoccupations des propriétaires ;
* Exigeant l’évaluation des dommages et intérêts basée sur des formules potentiellement sans lien avec les dommages encourus ou les bénéfices ;
* Omettant de décourager les détenteurs de droits d’abuser de son application ;
* Incluant l’exigence d’une application civile et pénale renforcée d’injonctions rigides et de dommages, qui restreindraient les flexibilités des gouvernements, entraveraient l’innovation et freineraient le développement et la diffusion de technologies vertes ;
* Menaçant la poursuite ou le développement d’exceptions d’intérêt public innovantes, comme le droit usuel permettant de copier des œuvres par une «autorisation».

COMMERCE INTERNATIONAL

ACTA créerait des obstacles au commerce concernant les biens liés au savoir, nuisant de manière disproportionnée aux pays en développement qui dépendent des importations et des exportations pour les biens essentiels. Plus spécifiquement, ACTA :
Etendra les fouilles douanières et les saisies d’office (ex officio) lors de transits à une vaste gamme de marchandises « suspectées » d’infractions à la propriété intellectuelle, incluant également les suspicions de violations de brevets qui impliquent des questions judiciaires complexes et des faits qui sont impossibles à juger par des autorités douanières ;

LÉGISLATION INTERNATIONALE ET INSTITUTIONS

ACTA serait en conflit avec un nombre important de lois internationales existantes et de processus en cours. Spécifiquement, ACTA contient des dispositions qui :
* Sont en conflit avec l’accord de l’Organisation Mondiale du Commerce sur les Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC), en autorisant des saisies basées sur la loi des « parties appliquant les procédures » plutôt que celle des « pays d’importation » (ADPIC Art. 52) et en omettant d’inclure des clauses de sauvegardes vitales contre les abus (par ex. Articles 41.1, 48.1, 48.2, 50.3, 53.1, 56), des flexibilités pour promouvoir l’intérêt public (par ex. ADPIC Art. 44.2), des exigences de proportionnalité quant à l’application des mesures (par ex. Art. 46, 47) et des dispositions permettant de garantir un équilibre entre les intérêts des propriétaires, des consommateurs, et de la société au sens large (par ex. ADPIC Art. 1, 7, 8, 40, 41.2, 41.5, 54, 55, 58) ;
* Sont en conflit avec la Déclaration de Doha sur les ADPIC et la Santé publique de l’OMC, ainsi que la résolution de l’Assemblée mondiale de la santé WHA 61.21 en limitant la capacité des pays à utiliser complètement les flexibilités ADPIC afin de promouvoir l’accès aux médicaments ;
* Affaiblissent le processus d’Agenda du Développement en cours au sein de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), notamment la recommandation 45 qui qui engage à « replacer l’application de la propriété intellectuelle dans le contexte plus large de l’intérêt général et en particulier des préoccupations relatives au développement » ;
* Affaiblissent les rôles de l’OMPI et de l’OMC en créant une nouvelle administration internationale superflue.

PROCESSUS DÉMOCRATIQUE

ACTA altère les processus législatifs traditionnels et constitutionnelles en :
* Exportant et en rigidifiant des pratiques d’application controversées et problématiques, empêchant toute amélioration future des lois en réponse à l’évolution des technologies et des politiques ;
* Exigeant des modifications substantielles dans les lois de nombreux pays, sans processus législatif ;

Le processus de négociation de l’ACTA est fondamentalement déficient. Spécifiquement, les négociations :
* N’ont pas été menées publiquement, comme c’est le cas pour les négociations multilatérales ;
* N’ont pas été accompagnées de preuves démontrant les problèmes de politiques publiques visant à être résolus ;
* Ont été menées dans des conditions restreignant les apports publics à des acteurs sélectionnés, à huis clos et sans garantir un accès aux dernières versions d’un texte évoluant rapidement ;
* Ont manqué de représentativité équilibrée des acteurs concernés, en particulier de la société civile.

Téléchargez la très belle affiche réalisée par Geoffrey Dorne pour cette une sur ACTA à cette adresse !



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L’Internet français est Morin 30 décembre http://owni.fr/2009/12/31/linternet-francais-est-morin-30-decembre/ http://owni.fr/2009/12/31/linternet-francais-est-morin-30-decembre/#comments Thu, 31 Dec 2009 15:25:53 +0000 Astrid Girardeau http://owni.fr/?p=6589 Titre original :

Hervé Morin : Internet doit être neutre et ouvert, sauf… et en cas de…

Hervé Morin, président du Nouveau Centre, et ministre de la défense, a mis à jour sa Déclaration des Droits Fondamentaux Numériques , dont la première version avait été présenté en juin dernier. « La v.2 s’est nettement améliorée » souligne Fabrice Epelbouin sur le site Read Write Web. Une appréciation générale qu’on a du mal à partager à la lecture des nouveaux textes. Notamment les articles 1et 3, peu changés, alors que les plus critiqués.

A l’article 1er, la première version «Toute personne a le droit d’accéder et d’utiliser librement le réseau Internet, neutre et ouvert» a été remplacée par : « Toute personne a le droit d’accéder et d’utiliser librement Internet, neutre et ouvert, dans le respect des droits d’autrui ».. Une modification de forme qui a le mérite d’annoncer les exceptions apportées aux principes d’ouverture et de neutralité développées ensuite. Le texte indique en effet : «Le droit à une libre utilisation du réseau s’oppose à toute forme de filtrage par les pouvoirs publics, sauf pour des motifs d’ordre public comme, par exemple, la lutte contre la pédophilie. L’utilisation du réseau peut également être encadrée en cas d’atteinte aux droits d’autrui.»

On note que le texte ne décrit à aucun moment ce qu’il entend par « neutre et ouvert », et donc les droits et les libertés qu’elle apporte aux citoyens. Il s’attache uniquement à en définir les restrictions. Ainsi il valide le principe de blocage ou de filtrage de contenus comme prévu par la Loppsi. Et ce n’est qu’un « exemple » précise-t-il. En effet, l’utilisation de la notion d’atteinte à l’«ordre public» permet de ratisser large dans les restrictions envisageables. Une notion juridique considérée comme un « concept très flou », « difficile à définir » par les juristes. En droit administratif, il s’agit d’un état caractérisé par «le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique».

« Toutes les infractions pénales rentrent dans le champ de l’ordre public », nous explique un juriste. Cela peut aussi bien concerner la pédo-pornographie (et non la pédophilie au passage) que la contrefaçon. C’est finalement une application française de ce qu’on retrouve en substance dans l’ACTA ou dans les principes sur la neutralité de la FCC, l’autorité américaine de régulation des télécoms. Soit l’idée d’un Internet neutre, libre et ouvert mais s’appliquant seulement aux contenus licites. Ajouter la notion, également complexe, de « droit d’autrui » permet à une personne physique ou morale de faire ordonner au juge le respect de ses libertés.

Comme le soulignait très justement, en juin dernier,
Jean-Marc Manac
h : « le “problème des “déclarations des droits de l’homme“, ou des “droits fondamentaux“, c’est qu’elles mettent en avant les droits des gens, des citoyens, pas ceux d’”autrui“, et encore moins ceux de l’”ordre public“. Et heureusement. Aussi, il disait espérer : « qu’Hervé Morin, et ceux avec qui il a rédigé ce projet, comprendront que l’on ne peut pas, d’emblée, définir nos droits et libertés par ce qui ne peut “porter atteinte à l’ordre public et aux droits d’autrui“.

L’article 4 sur la dignité humaine est également flou et sujet à de nombreuses interprétations. Il dit : « la dignité sur Internet se définit comme le refus, via le monde numérique, de porter atteinte à la dignité humaine. La protection de l’enfance, en particulier, justifie le respect d’une vigilance particulière. Le respect de la dignité humaine dans le monde numérique implique également le refus d’utilisation de qualificatifs contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Pendaison de Saddam Hussein, intimité volée de Laure Manaudou : l’absence d’autorité de régulation des contenus disponibles sur supports numériques – à la différence du secteur audiovisuel – ne doit pas conduire à autoriser sur Internet ce qui est interdit ailleurs« .

Hormis que les termes « vigilance particulière » ne signifient en soi pas grand chose (ou beaucoup de choses), il est bon de rappeler que l’« absence d’une autorité de régulation » ne signifie en aucun cas vide juridique et zone de non-droit. Comme le rappellent fréquemment de nombreux juristes, il existe à l’heure actuel de nombreuses lois qui sont applicables et appliqués sur Internet, par exemple en cas de diffamation.

Comme pour la première version, les internautes sont invités à commenter en ligne la Déclaration.

» Article initialement publié sur The Internets

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