OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’oeuvre médiatique du 11 septembre http://owni.fr/2011/09/07/loeuvre-mediatique-du-11-septembre/ http://owni.fr/2011/09/07/loeuvre-mediatique-du-11-septembre/#comments Wed, 07 Sep 2011 11:05:23 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=78420 La question revient sans cesse. Comment nous débrouillons-nous avec les milliers d’images auxquelles nous sommes exposés en permanence ? La réponse est simple. L’image n’arrive pas seule, mais accompagnée d’une indication d’échelle qui – par sa taille, sa répétition ou d’autres facteurs de valorisation – situe son importance relative dans la hiérarchie de l’information. Cette indication d’échelle, sans laquelle il nous serait bien difficile de nous orienter dans le paysage médiatique, passe habituellement inaperçue. Elle est pourtant décisive : nous jugeons important ce qu’on nous dit qui est important.

Dès le 11 septembre 2001, les images de l’attentat new-yorkais ont été dotées de la valeur d’information maximale. Retransmises en direct, puis indéfiniment reprises, multidiffusées, commentées, republiées, elles ont été elles-mêmes l’instrument de la construction de leur signification, par un effet de saturation sans précédent de tous les canaux informationnels. Catastrophe bien réelle, 9/11 est aussi, indissociablement, une œuvre médiatique.

Un vieux fantasme

La figure de l’événement partagé en direct par la population à travers la médiation du petit écran est un vieux fantasme des médias, dont on trouve de nombreux exemples au cinéma. Dans Le Jour où la Terre s’arrêta (Robert Wise, 1951), l’arrivée d’une soucoupe volante voit sa construction événementielle se réaliser en temps réel par la retransmission télévisée.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’apparente magie de cette conjonction suppose la mobilisation d’un dispositif complexe, dissimulé par l’illusion d’immédiateté – au minimum la mise en réseau du public et la disponibilité des moyens audiovisuels au moment adéquat. En dehors d’événements programmés, cette figure s’avère difficile à mettre en œuvre. L’évenement ne se laisse pas capturer si facilement : il faudra attendre l’assassinat de Kennedy, le 22 novembre 1963 à Dallas, pour qu’elle rencontre sa première incarnation télévisée.

Celle-ci est bien différente de la fiction. Nulle image des coups de feu – que les caméras de télévision n’ont pas enregistrés – n’est alors diffusée. L’événement que les Américains partagent en direct n’est pas le meurtre, mais la gestion télévisuelle de son après-coup, entre images insignifiantes et commentaires hésitants, jusqu’à la manifestation visible de l’émotion du journaliste Walter Kronkite, qui ne peut empêcher sa voix de trembler – rupture du code qui témoigne de son caractère exceptionnel.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’association du direct et d’une large diffusion a favorisé le développement d’une véritable fonction sociale des médias de flux que sont la radio et de la télévision. On mésestime cette capacité du média à mettre en scène et à faire partager ce qui est désigné comme le lot commun. La rentrée des classes, les soldes, les embouteillages des départs en vacances ou l’arrivée de la neige font partie de ces événements qu’on appelle “marronniers”, et qui devraient plutôt être interprétés comme l’élévation au rang de rituel par la “messe” du 20h de ces régularités communautaires qui scandent la vie du plus grand nombre. Le rêve de la télévision est de faire vibrer tous ses spectateurs à l’unisson du même spectacle.

Communion hertzienne

Cette figure de la communion hertzienne n’avait pu s’accomplir dans l’épiphanie du direct que dans une poignée de situations soigneusement organisées : déclarations politiques, mariages royaux, rencontres sportives, sans oublier les premiers pas sur la Lune.

Construction événementielle en temps réel, le 11 septembre participe des rares occurrences qui surprennent le dispositif. Revoir les premières minutes de ce que personne ne sait encore être un attentat permet de comprendre la mise en place de ce mécanisme. Avant même son identification comme attaque terroriste ou son attribution à Ben Laden, la collision d’un avion avec le plus célèbre immeuble de Manhattan est déjà perçue comme un “désastre” et située à un degré élevé dans la hiérarchie de l’information – assez pour mobiliser ses formes de présentation les plus dramatiques. La suspension des programmes par le système des Breaking News, le bandeau de qualification et le commentaire live, qui partage la recherche d’informations en aménageant l’attente de leur confirmation, sont les codes qui ont pour fonction de mettre en scène la confrontation directe avec l’événement.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il faut un haut niveau de technicité et de professionalisme pour conférer une forme cohérente à cette improvisation en temps réel, qui donne à chaque téléspectateur l’impression de partager l’événement au moment même où il se produit, comme s’il était assis dans le fauteuil du présentateur. Tout ce qui va arriver ensuite – encastrement du deuxième avion, saut dans le vide des victimes, effondrement des tours – était bel et bien imprévu : le scénario rêvé d’un crescendo évenementiel devant les caméras va s’accomplir comme un cauchemar.

Autant qu’au piège de feu des tours jumelles, l’Occident a été pris au piège de sa machine médiatique. Impeccablement huilé, le dispositif qui attendait de longue date de croquer le fait divers s’est fait happer par le 11 septembre. Brèche béante dans le temps télévisuel, la Breaking News ne s’arrêtera plus, s’étirant sur plus de 24 heures, rediffusant sans trève, comme le but d’un match de foot, au ralenti, en gros plan, les scènes les plus spectaculaires de la catastrophe, enfonçant pour toujours dans notre imaginaire ces minutes insoutenables.

Autant que les morts, les blessés, les tours effondrées, le spectacle du 11 septembre a participé du traumatisme infligé aux Etats-Unis. Au moment où l’Occident s’apprête à déclencher une nouvelle fois le Replay de la catastrophe, il est utile de se souvenir que cette blessure n’a pas été infligée par un membre d’Al Quaida, mais par notre propre dispositif journalistique.


Article initialement publié sous le titre “Replay 9/11″ sur L’Atelier des icônes

Crédits photo Flickr CC : by Robert Couse-Baker

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Tentative de définition du journalisme lol http://owni.fr/2010/06/05/tentative-de-definition-du-journalisme-lol/ http://owni.fr/2010/06/05/tentative-de-definition-du-journalisme-lol/#comments Sat, 05 Jun 2010 08:32:30 +0000 Vincent Glad http://owni.fr/?p=17520

Le mot avait été lancé comme une insulte. Xavier Ternisien, journaliste au Monde et star du micro-blogging m’avait un jour envoyé à la gueule sur Twitter que j’étais un “journaliste lol”. Nous étions alors en plein tweet-clash, surjouant nos rôles respectifs de jeune con et de vieux aigri après la publication d’un fameux papier sur les “forçats de l’info” portant sur les conditions de travail des journalistes web. Franchement, je l’avais mal pris. En ce début d’été 2009, “journaliste lol” ne pouvait être qu’un oxymore.

Et puis, à ma grande surprise, au fil des mois, les choses ont évolué. Et il est devenu cool d’apparaître comme un “journaliste lol”. Quand, pour la blague, j’ai créé une liste Twitter “chaire de journalisme lol” à la fin 2009, nombre de journalistes web (ou d’étudiants en journalisme) se sont réjouis d’y être. Comme si c’était devenu un label.

Mais merde, alors, journaliste lol, c’est devenu un vrai métier ? Pour répondre à cette question, il faut bien faire l’effort d’essayer de définir le concept, sur lequel personne ne s’est jamais penché dans un lignage supérieur à 140 caractères. Étant entendu que le lol représente le rire en général sur Internet, et plus particulièrement une certaine élite de l’humour sur Internet.

Il y a une première définition. Est journaliste lol celui qui est journaliste et qui fait du lol sur Twitter. C’est une spécificité toute française : les journalistes les plus connus sur le réseau sont des jeunes issus des rédactions web qui balancent du lol 24h/24 avec parfois quelques inserts plus sérieux, notamment quand il y a du breaking news. C’est le modèle Alex Hervaud du nom de ce journaliste loleur d’ecrans.fr qui tweete toujours les mêmes blagues que quand il n’était pas encore journaliste et qu’il plafonnait à 30 followers. Aux Etats-Unis, les journalistes tweetent chiant. En France, un journaliste ne peut tweeter chiant, sous peine d’être vieux. La tyrannie des jeunes l’a emporté, le journalisme Twitter français est de fait un journalisme lol.

Mais le journalisme Twitter n’est pas la grandeur du journalisme lol. C’est la deuxième définition qui est la plus intéressante. Le journalisme lol consiste à maintenir un niveau de lol constant dans les articles. Expliquons-nous. Quand il traitera la crise grecque, le journaliste lol essaiera d’intéresser son lecteur en prenant un angle marrant mais signifiant, comme par exemple le fisc grec qui a découvert sur Google Earth qu’il y avait 16.976 piscines dans un quartier huppé d’Athènes pour seulement… 324 de déclarées. A contrario, le journaliste lol traitera avec un grand esprit de sérieux les sujets les plus bas-de-gamme, comme par exemple Zahia que j’avais couvert pour Slate sous l’angle de l’obus médiatique en ne laissant pas transparaître un sourire tout au long des 8.000 signes de l’article.

Un petit graphique pour essayer de mieux comprendre : le journalisme lol s’applique à rester sur la “ligne du lol”, équilibre instable entre le journalisme bas-de-gamme et le journalisme sérieux (parfois chiant). Plus un sujet est sérieux, moins l’angle choisi le sera. Inversement, plus le sujet est bas-de-gamme, plus il nécessite une orfèvrerie de l’angle. Les deux exemples cités plus haut – la crise grecque et Zahia – sont matérialisés par des étoiles.

(le graphique est moche, c’est pas pour faire “lol”, c’est juste que je ne sais pas me servir d’un illustrateur)

Les Américains y ont un peu réfléchi et ont inventé le concept de “meta-enabling“, terme qui n’a pas franchement fait florès mais dont la définition est intéressante pour essayer de comprendre notre journalisme lol à la française. Dans une série de tweets restés mémorables,Andrew Golis, éditeur chez Yahoo News et ancien éditeur adjoint de Talking Points Memo, lançait le concept:

Aux Etats-Unis, l’équation du journalisme lol est donc posée en termes économiques. Sur Internet, l’opération consistant à devoir cliquer pour lire un contenu tend nécessairement à favoriser les contenus bas-de-gamme. L’homme est ainsi fait qu’il cliquera toujours plutôt sur du cul, du lol et du fail plutôt que sur de la politique ou de l’économie. Sachant que les contenus les plus sérieux sont en général peu lus, il n’est pas illogique de tenter de rendre plus intelligents les contenus a priori bas-de-gamme, ceux qui seront cliqués. Andrew Golis estime en outre que le “meta-enabling” permet de faire du clic tout en maintenant des tarifs publicitaires élevés puisque l’annonceur jugera que le contenu est néanmoins qualitatif.

Pour résumer le point de vue américain, le journaliste lol fait sa pute, mais il le fait bien, se plaçant ainsi sous le haut patronage de Zahia qui déclarait “Je ne suis pas une prostituée, mais une escort-girl”. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que les journalistes de Gawker, référence du “meta-enabling”, sont payés en partie au nombre de clics sur leurs articles.

Au-delà de ce point de vue cynique (qui est celui des rédacteurs en chef), le journaliste lol ne doit pas écrire pour faire des stats mais plutôt pour flatter ses propres instincts de “digital native”. Le Keyboard Cat le fascine ? Qu’il en fasse un article de 5.000 signes. Il a la vague impression que YouPorn est le TF1 du porn ? Qu’il enquête dessus. Il trouve que le langage Skyblog a ses poètes ? Qu’il les glorifie dans un long article. Il sent que la tecktonik est morte ? Qu’il aille en reportage au Metropolis. La reconquête d’un lectorat jeune (objectif central de la presse actuellement) passe certainement par un élargissement du spectre des sujets dits “sérieux”. Les digital natives ont tous le même père, Internet. Ils devraient pouvoir se comprendre.

On peut esquisser une troisième définition. Le journalisme lol est un journalisme qui pourra parfois s’attacher davantage aux représentations qu’à la vérité. La proposition est évidemment choquante : la première ligne de la Déclaration de Munich des devoirs des journalistes stipule que la profession doit avant tout “respecter la vérité”. Pourtant, le journaliste peut aussi dans certaines conditions spécifiques considérer la vérité comme un sujet secondaire et constater que là n’est pas l’essentiel.

Internet est une machine à créer de la culture en permanence. Pour garder sa mission d’ “historien du présent”, le journaliste web doit parfois faire le récit en direct de la création d’une idole pop, d’une « mémisation » d’une personne ou d’un fait d’actualité, y compris si l’emballement d’Internet repose sur une vérité factuelle douteuse. Le meilleur exemple est celui du monstre de Montauk, une bête informe échouée sur une plage de Long Island en juillet 2008. Le Web s’était perdu en conjectures mais impossible de savoir s’il s’agissait d’un chien, d’un ragondin, d’un raton-laveur ou d’un fake. Que peut faire le journaliste lol face à une telle histoire ? Il doit considérer qu’en l’espèce, la vérité est annexe et peu intéressante journalistiquement, seule compte la chronique de la création d’une idole, l’ajout à la culture pop de cette incroyable photo d’une bête échouée.

La plupart des journalistes web partagent cette vision de l’information sans même le savoir. On le voit dans la multiplication des articles titrés “[un fait d'actualité] enflamme le web”. En voici quelques exemples : sur Zahiasur la main de Thierry Henry ou sur le coup de boule de Zidane. Ces papiers ne s’attachent pas tant à la vérité qu’à sa représentation sur Internet, à l’énergie créative libérée par l’élément d’actualité.

Cette forme de journalisme comporte évidemment un risque. Il ne faut le pratiquer que quand la question de la vérité est secondaire, comme pour le monstre de Montauk ou pour la main de Thierry Henry (où la vérité est réglée d’emblée, oui, il a touché le ballon de la main). Mais dans le cas de Zahia, le journalisme lol a dérapé avec plusieurs articles qui décrivaient l’”emballement” du Web en postant des photos de son Facebook ou la vidéo de sa prestation chez NRJ12, alors que personne n’était certain qu’il s’agissait bien d’elle, et que d’évidentes questions de vie privée se posaient.

Cet intérêt qu’ont les journalistes web pour les mèmes doit pouvoir aboutir à une nouvelle forme de journalisme culturel qui applique le canevas traditionnel de la critique culturelle à des contenus Internet. On devrait pouvoir critiquer une vidéo YouTube avec la même application qu’un film dans Les Inrocks. Il est maintenant évident qu’il existe une “culture web” bien circonscrite (avec ses “chefs-d’oeuvre” comme les lolcats), il devient donc possible de placer une oeuvre Internet dans une lignée culturelle et de disserter sur ses références.

LOL.

> Article initialement publié sur Bienbienbien

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Twitter commence à vendre ses services aux médias http://owni.fr/2010/03/16/twitter-commence-a-vendre-ses-services-aux-medias/ http://owni.fr/2010/03/16/twitter-commence-a-vendre-ses-services-aux-medias/#comments Tue, 16 Mar 2010 19:50:02 +0000 Eric Scherer http://owni.fr/?p=10208 twitter-tipping-by-dan-taylor

Twitter est partout ! Il suffit d’observer le comportement quais obsessionnel des 15.000 participants à la conférence Interactive South by SouthWest, organisée cette semaine à Austin, au Texas: à chaque séance, ils sont quasi tous rivés sur leurs tableaux Tweetdeck ou pianotent sur leur applis iPhone. Impressionnant comment, faute de nouveauté marquante cette année, le petit oiseau bleu reste l’outil social de prédilection à “Geekland”!

Mais Twitter, qui grandit vite (140 employés) veut plus encore, comme me l’explique Robin Sloan, récemment embauché pour développer les partenariats avec les médias.

Il rencontre en ce moment les plus grands (journaux, télés…) pour leur monnayer l’accès direct à la source à “Fire Hose”: le robinet qui alimente la puissante lance à incendie qui crache 50 millions de tweets par jour !

L’intérêt? Détecter des breaking news, des tendances ou des pépites cachées avant tout le monde, se servir et intégrer les contenus générés par le public, mieux apprivoiser Twitter pour y mettre en valeur ses contenus. Les “hashtags”, mots-clés, les chaînes semblent ne plus suffirent plus pour trier efficacement, notamment dans les répétitions.

Google, Microsoft et Yahoo! ont récemment acheté le Fire Hose pour indexer et intégrer en temps réel les flux Twitter. D’autres le font aussi à des fins de recherche. L’autre source de financement à venir est bien sur la publicité qui devrait faire son apparition d’ici deux mois.

En ce moment, Twitter se développe plus vite à l’international qu’aux États-Unis, notamment au Brésil, au Japon, en Inde, en Indonésie, en Grande Bretagne et en France, où l’émission récente de France2 a provoqué un vrai pic de nouvelles inscriptions, raconte Sloan.

Il nous explique ici comment la prochaine Coupe du Monde de Football en Afrique du Sud va être en juin un grand moment Twitter:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

> Article initialement publié sur AFP Mediawatch

> Illustration CC Flickr dan taylor et swimparallel

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« Comment rendre l’AFP à nouveau indispensable » http://owni.fr/2010/02/13/%c2%ab-comment-rendre-lafp-a-nouveau-indispensable-%c2%bb/ http://owni.fr/2010/02/13/%c2%ab-comment-rendre-lafp-a-nouveau-indispensable-%c2%bb/#comments Sat, 13 Feb 2010 10:22:35 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=8080 Ce n’est pas un scoop, mais c’est bigrement intéressant. Bakchich publie ce matin le rapport rendu par Frédéric Filloux à Pierre Louette, PDG de l’AFP, au début du mois de février, dans lequel l’ancien directeur de la rédaction de Libération, puis de 20 minutes, chroniqueur chez Slate.fr et chez lui, se propose de répondre à la question « Comment rendre l’AFP à nouveau indispensable dans le contexte d’une information surabondante et dévalorisée ».

La formulation diverge sensiblement de celle, plus volontariste, du rapport Louette rendu presque un an plus tôt aux ministres de la Culture et du Budget intitulé « Faire de l’AFP un des leaders mondiaux de l’information à l’ère numérique ». C’est que le nouveau rapport, qui s’appesantit plus longuement sur le « produit » (l’information) et le modèle social que sur les aspects juridiques et financiers, n’est tendre ni pour l’agence ni pour ses clients.

  • «La concurrence des “sources”, plus ou moins fiables, disponibles sur l’Internet, la dévalorisation de l’actualité rendent l’agence de moins en moins indispensable dans des rédactions, elles-mêmes de plus en plus pauvres.»
  • «Les médias traditionnels sont de moins en moins exigeants, les nouveaux médias succombent au vite-fait, à l’approximation, et à l’illusion d’une possibilité infinie de corrections. Aussi effrayant que cela soit pour la démocratie, la culture dite du good-enough commence à imprégner le monde de l’information. (…) Le cheap and simple l’emporte sur la sophistication.»

L’idée (fausse) que toute l’information est de toute façon disponible en ligne bat en brèche celle, commune dans les rédactions, que les journalistes disposent toujours des agences, en filet de sécurité, pour traiter les impasses en recopiant la dépêche, pour rattraper les sujets que l’on n’a pas senti « monter », etc. Si toute l’information est disponible sur le Web, alors un agrégateur type Google News suffit bien.

L’idéologie de l’information comme processus en construction plutôt que comme produit fini (c’est la thèse popularisée par Jeff Jarvis) fait que dans l’esprit de beaucoup, il n’est plus nécessaire de disposer d’une information complète pour publier, mais qu’il suffit d’être le premier sur une information, la concurrence, les internautes, se chargeant de contredire, compléter, rebondir sur cette exclusivité.

  • « Le segment du breaking news, sur lequel les agences ont construit leur légitimité et leur modèle de revenus s’est considérablement dévalorisé au cours des cinq dernières années. (…) Les plus seniors veulent conserver l’abonnement à l’AFP pour des questions de facilité (l’urgent qui tombe sur une interface unique) et de confort (le bâtonnage de dernière minute). De leur côté, les rédacteurs plus jeunes ont leurs fils Twitter ouverts en permanence, ont paramétré des alertes sur Google ou des fils RSS qu’ils considèrent comme fiables, ce qui n’est pas sans risque pour leur support. Comme pour renforcer la tendance, les futurs journalistes sont formés à l’organisation de flux d’information personnalisés. »

Il y a peu de temps encore, les agences avaient le privilège de donner le tempo : dès qu’un fait infléchissait le cours des événements, l’agence se fendait d’un « urgent », une phrase qui annonçait aux rédactions qu’un événement, attendu ou non, était advenu. Et elles le donnaient généralement avant tout le monde. On ne compte plus désormais les cas où l’information est connue de l’ensemble des geeks des rédactions dix minutes et plus avant que le premier urgent ne « tombe sur le fil ».

  • « Lorsqu’il consulte un média en ligne, (le journaliste) dispose de pages enrichies par des liens hypertextes, renvoyant vers des articles sur le même sujet (les related stories) ou vers des sites extérieurs. Le site lui suggère des lectures complémentaires sur tous les supports possibles : texte, mais aussi infographie, vidéos, photos. La profondeur apparaît ainsi infinie. Par contraste, la dépêche est plate, aride, unidimensionnelle. »

C’est la grandeur et la faiblesse de la dépêche : un compte-rendu froid, distancié, sourcé jusqu’à la lourdeur, construit toujours de la même façon, mais surtout autonome et complète. Avec l’hypertexte, de nouvelles formes d’écriture, arborescentes, référencées, évacuant l’accessoire et la charge de la preuve ailleurs sur le Web, mêlant les formes d’expression. Bien adaptée pour être réutilisée au moindre effort dans la presse écrite, la forme traditionnelle semble désuète pour les usages sur les sites Web. Avec Living Stories, Google propose une évolution intéressante dans le sens préconisé par Frédéric Filloux.

  • « Les flux de l’agence sont perçus comme trop abondants et génèrent un déchet excessif. Le “one size fits all ” (taille unique) supposé satisfaire tous les médias, ne convient plus aux besoins spécifiques de chacun. La tarification reste alignée sur le débit unique de la “lance à incendie”. Les clients remettent donc en question ce principe, soit en réclamant des rabais irréalistes, soit en envisageant des alternatives. (…) Le principe de l’abonnement doit être revu et complété par des produits vendus “à la carte”, souvent en exclusivité. »

« Aujourd’hui, le “fil” est considéré comme une lance à incendie destinée à remplir un verre d’eau», écrit Frédéric Filloux. Dans un contexte de restriction budgétaire, les rédactions — et notamment la presse régionale — constate que l’abonnement coûte cher pour un service rendu dérisoire : sur l’information locale, l’agence est souvent en retard et moins complète que leurs propres locales; et l’information nationale ou internationale, dans un contexte de médias surabondants, n’est plus un service si différenciant qu’il justifierait le prix demandé: dans les informations générales des quotidiens régionaux, c’est finalement le tri entre tous les sujets qui a une valeur. Dès lors, l’AFP se rendrait utile si elle proposait à ses clients des offres personnalisées.

  • « On pourrait même envisager un service de base gratuit réservé aux professionnels. Il serait l’équivalent des fils Twitter de CNN ou du New York Times. Pour le client, ce flux superficiel ouvrirait sur un vaste catalogue de produits premium actualisé en permanence. »

Lors de son recrutement, Frédéric Filloux a été sévèrement critiqué par le SNJ-CGT de l’agence comme « l’homme de la gratuité »: « tout se passe comme si le journalisme de nos jours pouvait se réduire à une question de technologie. Idée qui est hélas trop courante sur les forums Internet américains fréquentés par certains de nos “penseurs AFP Mediawatch” du sixième qui n’ont comme références que des consultants prêts à tout pour répandre leurs idées sur la “mort prochaine du papier” ou “l’inéluctabilité du tout-gratuit”. » Mais cette proposition reprend plutôt l’idée que le tout-venant de l’information serait une « commodité » (un produit standardisé sans valeur ajoutée) indispensable mais ne provoquant pas l’acte d’achat. En revanche, il peut servir de « produit d’appel » pour des services qui eux seraient facturés.

  • « L ‘AFP ne doit pas se sentir en compétition avec les autres médias sur des exclusivités. Sur le marché domestique, les scoops sont le plus souvent franco-français. Ils résultent fréquemment d’une connivence excessive entre des journalistes et leurs sources, bien plus que d’un réel travail d’investigation, au final, peu pratiqué en France. »
  • L’AFP devrait « valoriser — sans excès, mais avec un peu plus de magnanimité — les exclusivités des confrères permettrait aussi à l’AFP de mettre en exergue ses propres scoops, ce qu’elle fait rarement. Il suffirait donc d’une ou plusieurs dépêches dédiées aux reprises, envoyées tôt le matin, et rassemblant selon des critères assez larges les exclusivités des confères pour régler la question. »

On reconnaît là deux reproches adressés régulièrement par les journalistes du reste de la presse à l’agence. Il suffit de rappeler le billet Mediapart, le mur du silence et le marché aux voleurs pour voir combien la double fonction de grossiste de l’information et de concurrent conduit l’agence à faire des impasses, à négliger de rappeler que certains de ses scoops étaient déjà « sortis » ailleurs dans les médias.

Sur quelques pages, en fin de document, le rapport se pique de quelques conseils à la direction sur la « gestion humaines et le pacte social » qui devraient être plus difficilement acceptés dans le contexte d’une prochaine réforme du statut de 1957 de l’agence. Le ministre de la Culture a missionné en décembre 2009 un comité d’experts dirigé par l’ancien patron de l’agence Henri Pigeat, pour travailler sur le projet élaboré par Pierre Louette et qui prévoit de transformer l’AFP en société anonyme par actions à capitaux publics.

« Aucune des évolutions envisagées dans ce rapport n’est possible sans la rénovation du pacte social de l’AFP dont la déliquescence menace l’avenir de l’agence », démarre Frédéric Filloux : « un journaliste d’Associated Press travaille entre 20% et 25% de plus en temps annualisé qu’un journaliste de l’AFP » (tout en précisant qu’« un journaliste d’AP travaille 230 jours par an. Après trois ans, il ne dispose que deux semaines de congés payés. Il lui faut attendre 20 ans d’ancienneté pour avoir 5 semaines de congés »). Il insiste sur le fait que ce constat serait partagé (« Beaucoup de journalistes de l’agence admettent qu’une durée annuelle de travail aussi faible est difficilement compatible avec une mission de collecte et de traitement de l’information — suivre le détail des sujets, renforcer son expertise, cultiver ses sources »).

En revanche, il ne s’étend pas sur la différence de rémunération d’un journaliste du siège de l’Associated Press par rapport à celui de l’AFP. Tout juste relève-t-il « un excédent de journalistes seniors »: « A la rédaction, une personne sur dix a plus de 60 ans et 42% ont plus 20 ans d’ancienneté. » Il propose donc d’instaurer « des notions de compétences, de spécialisation, de performance et y faire correspondre une politique salariale où la valeur d’un individu aura un poids spécifique plus grand que son ancienneté. »

Enfin, Frédéric Filloux se livre à un réjouissant jeu d’anticipation à terme assez court (2015). Il voit l’agence contrôlée par une fondation garantissant son indépendance. La contribution de l’Etat est ramenée à 20% (« en 2008 de 107,7 millions d’euros, soit 39,75% du chiffre d’affaires de l’agence — et l’équivalent de 1,3 fois le revenu généré par le fil général de l’agence, son service-phare ») et « le volume de dépêches et de photos a été réduit de moitié ». En contrepartie, l’agence a développé de nouveaux services, parmi lesquels on trouvera notamment (ouvrez les guillemets) :

  • AFP Media Dashboard. Cet abonnement spécifique fournit, sous une  forme visuelle et actualisée en temps réel l’état du bruit médiatique (qui parle de quel sujet, à quel moment, selon quels volumes, avec quelle tonalité, tout cela pouvant être replacé dans un contexte historique).
  • AFP Crowd Monitor. Il surveille l’état de l’opinion, au travers d’une analyse permanente d’un vaste corpus de blogs, forums, sites internet, fils RSS et Twitter, dont les contenus sont suivis en temps réel. Là encore, sous une forme visuelle et statistique, la rédaction peut suivre l’évolution d’un cycle d’information : la montée d’une polémique, son importance relative par rapport à une autre six mois plus tôt ou encore une préoccupation de fond qui prend corps dans la population (en fait dans les populations car on peut évidemment segmenter selon une multitude de critères), etc.
  • AFP Editor Assistant. Des dizaines de sujets composites (texte photo, multimédia) sont assemblés chaque jour pour des clients qui les achètent selon des modalités variables, le plus souvent à la carte et parfois aux enchères lorsqu’une commercialisation exclusive le justifie.  Tous les textes produits chez le média-client, sont passés au crible d’AFP Editor Assistant. Ainsi une note interne de la rédaction en chef définissant une couverture à venir (avec des propositions de sujets et d’angles sur un événement) sera confrontée à la base de l’AFP qui proposera du texte (features, papiers de doc), des sujets photos rassemblés dans des dossiers virtuels, des infographies construites sur des bases de données et naturellement de la vidéo.
  • AFP Data. Une trentaine de services thématiques, créés, édités, mis en forme par des statisticiens et journalistes de l’agence qui puisent dans des bases de données publiques.
  • AFP User-Generated Content Validation. Un desk d’experts internes et externes à l’agence valident et certifient l’authenticité des contenus qui circulent sur le Net.

(Fermez les guillemets)

» Billet initialement publié sur le blog de Vincent Truffy

» Image d’illustration Jessie Romaneix sur Flickr


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